Au moment d’écrire ces lignes, le Salon du livre de Montréal venait d’ouvrir ses portes. Cependant, ce n’était pas le sujet de l’heure. Deux nouvelles troublantes sont venues jeter un pavé dans la mare et pourraient être emblématiques d’une possible crise culturelle au Québec.

Tout d’abord, l’ANEL annonçait le 13 novembre dernier qu’elle ne pourrait plus s’occuper des activités de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, ayant lieu le 23 avril, comme elle le faisait depuis 26 ans, en grande partie parce que son plus important subventionneur gouvernemental décidait de ne plus accorder de fonds pour les maintenir.

Pourtant, le succès de l’entreprise ne se démentait pas. En 2018, les ventes de livres avaient augmenté de 20 % à cette date, selon la Banque de titres de langue française (BTLF), et des projets palpitants s’annonçaient. De plus, les centaines d’activités offertes gratuitement au Québec et au Canada permettaient à près de 200 auteurs d’entrer en contact avec plus de 700 élèves juste dans notre province et ainsi de développer chez eux le goût du livre et de la lecture. La décision du gouvernement de ne plus soutenir cet événement a de quoi surprendre et nous apparaît difficilement justifiable, surtout au vu du succès de ce dernier. Mais ce n’était que le début.

Le lendemain, soit le 14 novembre, le réputé Prix littéraire des collégiens, alors plongé depuis quelques jours dans une polémique à la suite de la commandite surprenante d’Amazon, décidait de suspendre la remise de ce dernier. Le milieu du livre était enflammé depuis le dévoilement des finalistes et, par le fait même, de la commandite d’une multinationale dont l’éthique a plusieurs fois été remise en question.

Plusieurs ont exprimé leur malaise face à la situation, d’autres l’ont dénoncée. Certains en ont débattu sans arriver à une prise de position claire. Alors que nous rédigeons ce texte, le sort attendant ces deux événements annulés est encore incertain.

Un questionnement a cependant surgi. Nous pouvons difficilement nous leurrer plus longtemps. Depuis des années, le soutien du gouvernement envers la culture ne cesse de se réduire comme peau de chagrin. À peu près tous les acteurs du milieu du livre (auteurs, éditeurs, associations et organismes culturels, libraires, événements et prix littéraires, magazines culturels, etc.) souffrent toujours plus des coupures imposées au milieu littéraire québécois. Plusieurs peinent à survivre et les auteurs ont un statut plus précaire que jamais.

Hélas, il semble que les acteurs du milieu peuvent de moins en moins compter sur les instances gouvernementales pour assurer leur pérennité. Le désengagement du gouvernement envers la culture est manifeste, consternant et effrayant.

Le besoin de se tourner vers d’autres sources de financement pour subsister pourrait être de plus en plus évident et criant. Avec cela, cependant, vient peut-être un dilemme moral auquel nous risquons de nous heurter de plus en plus souvent. Nous désirons tous avoir des partenaires commerciaux « idéals » dont les valeurs coïncident davantage avec les nôtres. Mais y a-t-il des compagnies dont la contribution est plus moralement acceptable que d’autres?

La culture a-t-elle un devoir de pureté et d’idéal? Après tout, les artistes, à travers l’Histoire, ont bénéficié régulièrement du soutien de mécènes qui les entretenaient et les faisaient vivre, souvent en échange d’œuvres commandées. Risque-t-on de retourner à une telle situation?

Est-il moralement acceptable de laisser le milieu de la culture vivoter, voire disparaître, au nom de principes et de valeurs? À quel point désirons-nous assurer la survie de notre littérature, surtout à un moment où elle est menacée par une concurrence massive provenant de l’extérieur? À quel point sommes-nous prêts à sacrifier nos principes afin de préserver notre culture, notre patrimoine?

Avons-nous l’obligation d’assurer sa subsistance coûte que coûte? Quel prix cela a-t-il pour notre conscience, notre liberté? Est-ce vendre notre âme au Diable que d’accepter une association avec certaines entreprises en apparence moins nobles que d’autres?

Et à quel moment doit-on tracer la ligne déterminant cette acceptabilité? Lorsqu’une entreprise engrange des profits faramineux alors que les artistes peinent souvent à joindre les deux bouts? Quand une compagnie est réputée payer ses employés sous le salaire minimum ou qu’elle empêche toute formation de syndicats? Lorsqu’une société est connue pour vendre des produits de qualité douteuse ou de la malbouffe?

Le but, ici, n’est pas de donner une réponse, mais bien de susciter un questionnement, car celui-ci pourrait bientôt devenir fondamental. Il en va peut-être de la survie de notre culture.

 

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