Quand j’écris, il arrive toujours un moment où les miens me reprochent de ne pas être là, tout entière, avec eux. Mon chum se sent délaissé, ma fille, abandonnée, mes amis, oubliés. Même mon chat rouspète et miaule à fendre l’âme à cœur de journée.

Oui, quand j’écris, il arrive toujours un moment où l’histoire est plus forte que le quotidien. Elle squatte mon esprit tout le jour durant, et mes nuits n’y échappent pas non plus.

Mes derniers lambeaux de rêves s’accrochent à un paysage ou à un personnage inventé, mes premières bribes de conscience ont les yeux d’un héros, la forme d’une montagne ou l’odeur d’une forêt sauvage. Les jours de chance, une brise tiède souffle sur mes paupières encore fermées et y dépose des idées nouvelles en même temps que des éclats de joie.

En ce moment, je suis un bateau en voyage et j’accoste chaque nuit dans un nouveau port. Je flotte, je tangue ou je file sur une mer chaude et turquoise. Dans mon sillage sautille une traînée d’étoiles scintillantes. Entre mes flancs de bois, je transporte la plus précieuse des cargaisons : les pensées et les émotions de huit petits passagers.

Alors, il ne faut pas m’en vouloir si j’échappe un café, si j’oublie l’heure ou si je rate le beurre manié. C’est la faute à l’histoire qui m’a ensorcelée.

 

Marthe